Jonathan Caouette Tarnation

Autobiographie

Note :
4/5
Cet article a déjà 16 ans : il contient peut-être des informations devenues obsolètes.

Synopsis

Vie du petit Jonathan, résumé des méfaits : suite à un traitement aux électrochocs que lui ont fait subir ses parents pendant son adolescence, la mère de Jonathan est régulièrement internée dans des hôpitaux psychiatriques tandis que l’enfant grandit chaotiquement entre une famille d’accueil violente et ses grands-parents. Ajoutons des maux de tête fréquents, causés par la prise de drogues hallucinogènes à un âge encore très jeune et une difficulté à trouver sa place entre une mère folle et une vie bien à lui pour conclure le tableau. Quelques jalons pour laisser entrevoir ce qui peut motiver un autoportrait.

Critique personnelle

Dès ses 11 ans, Jonathan Caouette a eu une caméra entre les mains, prenant ainsi l’habitude d’en user constamment. Le film est un montage, une sélection de nombreuses images qu’il a pu accumuler. Proches, jeux d’enfants, photographies… des images qui le raconte et où il se raconte. Les premiers mots pouvant naturellement venir en tête à propos d’un tel projet pourraient être égocentrique, inintéressant ou détestable, mais la richesse profonde de Tarnation est d’aller plus loin. Parmi ceux qui ne s’y sont pas trompé, le pape du cinéma indépendant américain actuel, Gus Van Sant dont le soutien a aidé à distribuer le film.

Tarnation photomaton

Je-pourrais-en-faire-autant-avec-ma-propre-vie. Le réalisateur ne propose pas un modèle de confession à imiter, s’il parle de lui, d’une manière qui lui est propre; c’est parce qu’il sent que son histoire est singulière, et surtout – et c’est net – qu’il en sent la nécessité. De bout en bout Tarnation fait preuve d’impudeur, qui trouve sa justification par la recherche sur soi. Ce long-métrage n’est pas une simple lubie, l’obsession avec laquelle il a en grandissant enregistré son quotidien révèle combien filmer a pu servir de mécanisme de défense et de survie face aux moments difficiles, avant de devenir une thérapie. D’un geste par lequel il était possible de voir autrement le monde autour de lui, il parvient ainsi à s’en extirper, et à se sauver aimerait-on dire.

Cet autoportrait est l’occasion de poser un regard sur ceux qui l’entourent et d’essayer de les comprendre. Le travail de recherche du documentariste est enrichi d’une dimension obsessionnelle à insister qui en fait un interrogateur acharné même dans des moments difficiles et le pousse à creuser, même quand ça fait mal, parce que ça fait mal. Ce besoin d’aller plus loin est une leçon, certains personnages qu’on vite condamnés se trouvent être plus complexes qu’au premier abord. Contrairement à ce qu’il était possible d’imaginer, les passages les plus douloureux concernent plus souvent la mère de Jonathan que lui-même. Peut-être parce que lui a justement pu parvenir à trouver des moyens pour s’échapper du drame, par les déguisements de son enfance, par le cinéma, la culture pop, alors que sa mère est resté dans le même état, anéantie par les électrochocs. L’autoportrait cache en son sein un portrait, fait avec amour et tristesse, lui-aussi empreint d’une sincérité poignante.

Tarnation - Caouette

Tarnation ne serait toutefois pas aussi fascinant sans la capacité de Caouette à raconter des histoires. Il y montre un réel sens du rythme et de la narration allant droit à l’essentiel, et parvient à donner une cohérence à tous les extraits, photographies, messages. Le film est un kaléidoscope d’images, vidéo analogique ou numérique, photomatons, pellicules super-8, en noir et blanc, en couleur… Le tout monté et recoupé à grand coup d’esthétique pop. Le très kitsch effet mosaïque retrouve la classe d’une origine pop-art ; portraits colorés en série, photographies ou vidéos ponctuées de sous-titres, le matériau de base est extrêmement disparate. Le film a beaucoup recours au texte sans que cela ait quoi que ce soit de plombant. Quand Jonathan Caouette y parle de lui à la troisième personne, il y a de quoi sourire devant ce subterfuge bancal, de cette marque un peu égocentrique probablement utilisée pour éviter le non moins arrogant moi, je. Des messages donc, intégrés dans le défilement de ce collage, d’images, de mots, de musiques – à commencer par Nick Drake ou les Cocteau Twins – donnant à cet essai filmé une forme des plus pop. De cette histoire se dégage un parcours courageux, se refusant à l’amnésie, dont le geste artistique a quelque chose d’une rédemption et d’une volonté de vie plus forte que tout.

Références

  • Acteurs : Jonathan Caouette, Renee LeBlanc, Rosemary et Adolph Davis, David Sanin Paz
  • Année : 2003
  • Durée : 1h28
  • Pays : Etats-Unis