David Cronenberg Le Festin Nu

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Naked Lunch Affiche

Synopsis

William Lee, junkie et dératiseur, est forcé de fuir le pays après avoir accidentellement tué sa femme, trouvant refuge en Afrique du Nord. Sur place, il pense être un agent secret tombé en plein milieu d’une conspiration internationale et commence à taper des rapports destinés à l’organisation secrète pour laquelle il travaille. La machine à écrire sur laquelle il travaille s’avère des plus bavardes…

Critique personnelle

La reprise du titre exact du livre de William Burroughs provoque une importante méprise. Toute personne pensant économiser quelques heures de lecture par deux heures de film sera très loin du compte. Le Festin Nu n’est pas Le Festin Nu. Doit-on crier à la trahison? Rien n’est moins sûr. Paradoxalement, c’est peut-être en refusant de suivre le livre original à la lettre que David Cronenberg lui est le plus fidèle. Il contourne avec beaucoup d’adresse les écueils de l’adaptation en refusant la transposition pour lui préférer une variation libre autour de l’œuvre et de l’univers de Burroughs. De quoi déconcerter les adorateurs les plus ardents du Festin Nu et faire fuir les autres. Ce parti pris risqué possède le grand mérite de bousculer nos habitudes de spectateurs, nourris d’adaptations calquées avec plus ou moins de qualités, qui se voudraient un équivalent de l’œuvre originale.

Naked Lunch extrait

Dans ce cadre élargi, la matière ne manque pas, le littéraire comme le biographique regorgent d’anecdotes des plus romanesques qui trouvent leur place au cours du film. Elles n’ont aucun mal à s’y incorporer, Burroughs déjà avait maintes fois utilisé des épisodes de sa vie. Le récit a beau être moins découpé, il n’est pas pour autant devenu d’une clarté limpide au cours de l’opération. De grandes parts d’ombre subsistent, et les coupes scénaristiques n’édulcorent en rien le contenu. Le long-métrage n’est ni un décryptage, ni une version « accessible à tous » d’un livre célèbre pour sa dimension hallucinatoire ; David Cronenberg n’est pas connu pour faire des concessions au public et serait plutôt du genre à l’éclabousser ou à lui faire dresser l’échine.

On s’amuse aujourd’hui des effets spéciaux de l’époque plus qu’on ne s’en effraie, ce qui n’empêche pas les cafards et autres insectes d’être toujours aussi répugnants à l’image. L’obsession pour l’organique réunit d’emblée l’écrivain et le réalisateur, les deux univers s’enrichissent l’un l’autre de problématiques communes. Cronenberg notamment développe d’une manière très intéressante le rapport de l’écrivain avec sa machine à écrire – ce rapport du corps à la machine qu’il avait déjà abordé presque dix ans plus tôt dans Vidéodrome – et projette ses réflexions sur la souffrance de l’artiste dans la création. La greffe de ces problématiques personnelles avec l’ensemble se fait sans rejet, pour la simple raison que ces questions étaient déjà en germe chez Burroughs ou abordés d’une autre façon.

Naked Lunch extrait2

La manière dont le cinéaste s’approprie l’œuvre dénote une grande compréhension de l’œuvre, de sa logique tordue et de son atmosphère. Il en souligne les accents kafkaïens, donne vie à des personnages équivoques et brosse une Interzone inquiétante, où les limites entre hallucinations, réalité et création ne cessent d’être déplacées. L’équation est des plus intéressantes, et elle ne fait que s’épanouir dans cette rencontre des plus appropriées, fondamentalement infidèle mais pas inopportune.

Références

  • Acteurs :Peter Weller, Ian Holm, Judy Davis, Julian Sands, Roy Scheider
  • Année : 1991
  • Durée : 1h55
  • Pays : Etats-Unis
  • Genre : Anticipation