Terry Zwigoff Ghost World

Comédie douce-amère

Affiche alternative de « Ghost World »

Note :
4/5
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Synopsis

Enid et Rebecca détestent à peu près tout : leurs camarades, leurs familles, leur ville, la télé… Ces deux adolescentes cyniques et inséparables viennent juste de terminer le lycée, et s’apprêtent à passer leurs vacances ensemble à critiquer tout ce qui bouge. Jusqu’à ce qu’un jour, Enid rencontre Seymour, un quarantenaire célibataire collectionneur de vinyles de jazz.

Attirée par cette personnalité décalée, Enid délaisse peu à peu Rebecca, qui s’éreinte à chercher la colocation dont elles ont toujours rêvé. Les deux filles ne soupçonnent pas que cet été insouciant va être le premier grand tournant de leur vie

Bande-annonce

Critique personnelle

Star de la BD underground américaine, Daniel Clowes a longtemps refusé les propositions pour adapter son oeuvre la plus célèbre, Ghost World. Il faut dire qu’il y aurait beaucoup à perdre en laissant les droits à n’importe qui. En effet, qui pourrait rendre à l’écran cet ennui teinté de mélancolie qui habite les deux héroïnes ?

C’est en rencontrant le réalisateur Terry Zwigoff que Clowes a enfin accepté qu’on donne un corps à son monde de fantômes. Car si Zwigoff n’avait alors jamais réalisé de fictions, il était l’auteur d’un documentaire sur un autre auteur célèbre de bédé underground : Robert Crumb.

La confiance de Daniel Clowes acquise, Terry Zwigoff se lance donc en 2001 dans la mise en image de cette histoire née huit ans plus tôt, en 1993, dans les pages du comic Eightball. Après avoir pensé à Christina Ricci, c’est finalement Thora Birch, la troublante Jane d’American Beauty, qui interprète Enid. Scarlett Johansson est Rebecca, et Steve Buscemi (Reservoir Dogs), Seymour. Quant à Daniel Clowes, en plus de participer au scénario et au storyboard, il est présent sur le plateau pour donner son avis. Finalement, le film est un mélange d’adaptation et de nouveauté. Et c’est surtout une réussite.

Ghost World, c’est donc l’été de deux copines, unies par la détestation de tout ce qui les entoure. En fait, Jane et Daria, en chair et en os. En temps normal, elles passent leurs journées à traquer les freaks de leur ville, et à embêter leur pauvre ami Josh, qu’Enid aime secrètement. Elles se plaisent à toujours traîner dans les mêmes boutiques qu’elles prétendent détester, juste pour le plaisir d’en dire du mal. Cette carapace de cynisme leur permet de survivre dans cette bourgade ennuyeuse… jusqu’à ce qu’elle commence à se fissurer, et leur amitié avec.

Enid (Thora Birch) rend visite à Seymour (Steve Buscemi)

En effet, Rebecca comprend vite qu’Enid ne veut pas entendre parler du monde adulte. Elle refuse de se plier aux conventions sociales, ce qui donne lieu aux scènes les plus drôles du film, où Enid tente lamentablement de vendre des boissons et des popcorns tout en se moquant ouvertement de ses clients.

La tête partagée entre les annonces de logement et son travail de caissière, Rebecca est agacée par le manque de sérieux de son amie, qui la délaisse pour traîner avec Seymour, le collectionneur. Recroquevillée sous sa carapace, Enid refuse d’affronter le futur et fuit ses nouvelles responsabilités.

En vérité, Enid manque surtout terriblement d’affection. Ce n’est pas un père transparent ni une belle-mère qu’elle déteste qui vont lui en donner. Ni Rebecca, trop cynique. Ni Josh, trop compliqué. Il se trouve que Seymour aussi cherche de l’affection. Malgré leur différence d’âge, ces deux âmes en peine vont se comprendre sur une chose : la haine de l’humanité.

Je ne peux pas m’identifier à 99% des gens, dit Seymour. En se rencontrant, l’ado perdue et le vieux garçon posent une question fondamentale : quelle place dans ce monde pour ceux qui ne suivent pas la norme ? Pour ces gens trop sensibles, trop timides, dont les rêves se heurtent quotidiennement à la médiocrité et au conformisme de leurs semblables ?

Petit à petit, la mélancolie affleure au milieu de la comédie adolescente blasée. Certains font le deuil de leur enfance, d’autres le bilan de leur vie. Et Ghost World laisse un goût étrange, celui de l’incertitude. Qui sommes-nous vraiment ? Qu’allons-nous faire de nos vies ? A quelles compromissions sommes-nous prêts pour avoir notre place ? Toutes ces questions et ces tourments sont très bien rendus par le jeu de Thora Birch et Steve Buscemi. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard s’ils ont reçu des prix pour meilleure actrice et meilleur second rôle.

Le film, lui, se suit avec plaisir et sans le moindre ennui, même s’il relate des choses communes plutôt que de grands évènements spectaculaires. Les notes de piano du thème principal donnent un côté irréel à la ville, comme si les personnages n’en faisaient pas vraiment partie, comme s’ils y flottaient. Comme des fantômes dans un Monde de Fantômes. Et à propos de musique, les chansons préférées d’Enid sont présentes dans le film, comme l’adorable A ribbon and a smile.

Souci du détail, bon jeu des acteurs, humour, style, émotion : c’est bien comme ça que l’on fait un très bon premier film. Et surtout un film dont le souvenir ne manquera pas de nous hanter !…

Le grain de sable

Terry Zwigoff et Daniel Clowes se sont retrouvés en 2006 avec l’adaptation d’une autre oeuvre du dessinateur, Art School Confidential. Le film est une satire du monde de l’art vu par Clowes suite à ses quatre années passées en école d’art.

Références

  • Ghost World, 2001
  • Réalisateur : Terry Zwigoff
  • Scénario : Terry Zwigoff, Daniel Clowes
  • Oeuvre d’origine : Ghost World, Daniel Clowes, édité en France chez Vertige Graphic
  • Distribution : Thora Birch (Enid), Scarlett Johansson (Rebecca), Steve Buscemi (Seymour)